Riobamba (2) ... J'y étais...

Publié le par JBeaulieu

Guayaquil, Équateur
Mercredi, 20 novembre 2002, Riobamba, Équateur

 

Ecuador-Riobamba-4
Ville de Riobamba
(Photo de jmblum sur Flickr)

 

Il devait être aux alentours de 16h15. Je venais de prendre une bonne douche et je m'apprêtais, étendu sur le lit dans ma chambre du cinquième étage de l'Hôtel Shyris, à mettre sur papier les impressions qui s'étaient accumulées dans ma tête durant cette journée, la plus belle que j'ai passée jusqu'ici en Équateur. Et je n'avais pas encore terminé d'écrire le titre de mon blogue : "Vues d'en haut...c'est certainement plus be..." que...

L'édifice se met à trembler... Dans ma tête, et à la vitesse du son : qu'est-ce qui se passe...tremblement de terre? éruption volcanique ? attentat à la bombe, surtout que l'élection a lieu dimanche et que les partisans du candidat Gutteriez venait de passer en parades ? et qu'est-ce que je fais ?

Puis arrive le BANG qui te secoue toi, tout autant que l'édifice, et des bruits de verre cassé, et des cris de gens...

Je me lève et vais voir à la fenêtre : une immense colonne de fumée brune-noire s'élève dans le ciel à quelques coins de rue à peine de mon hôtel, c'est du moins l'impression que j'ai, des gens crient, pleurent et courent dans la rue en bas, du verre brisé jonche les trottoirs et la rue.

Je m'habille alors en vitesse, je mets mes papiers dans mon sac à dos de jour et, les jambes molles comme du chiffon, je sors en même temps que mon voisin de chambre et on descend au rez-de-chaussée assez rapidement merci ! Mais je me rends compte que je n'ai pas mis mon dentier (ici, vous pouvez rire ... c'est ce que je suis moi-même en train de faire, mais ce n'était cas le cas hier après-midi !!!). Je remonte alors le chercher à la course et je redescends tout aussi rapidement rejoindre les autres qui sont regroupés au rez-de-chaussée.

Sur fond de d'autres bruits d'explosion de moins d'envergure que la première, j'y retrouve un autre voyageur comme moi, Pete, un anglais d'Angleterre : à deux, c'est plus rassurant, surtout que les gens, entre eux, dans la panique et dans les larmes, s'expriment dans un langage qu'il nous est très difficile de suivre et de comprendre. Et toutes les rumeurs circulent : bombe, explosion de l'entreprise de céramique, attentat terroriste, coup de l'armée...

Puis, soudain, des gens qui arrivent en courant en criant et pleurant et en faisant des signes de les suivre en s'éloignant de l'endroit de l'explosion. Mais que faire? Tous se regardent, mais personne ne bouge. Alors arrive un soldat qui nous indique de nous éloigner au plus vite. C'est ce que tout le monde fait, en courant ou marchant rapidement dans la rue et en essayant de ne pas nous couper sur les morceaux de verre des fenêtres éclatées qui traînent sur le sol.

En route, on rencontre trois autres jeunes touristes, dont un autre québécois : on ne se lâchera plus !

Et arrive le second BANG aussi puissant que le premier : panique totale...  on court ou marche plus vite. De nouveaux nuages de fumée s'élèvent dans le ciel, et il semble y avoir eu comme un déplacement des explosions. Des policiers nous disent de nous éloigner rapidement du centre-ville.

On suit alors les gens, qui sont par centaines, sinon, par milliers : on arrive au bord d'un ravin au pied duquel se trouve un quartier de Riobamba. On y descend par un escalier, puis on traverse le quartier et les gens commencent à grimper dans la montagne, certains pour rejoindre le village qui s'y trouve de l'autre côté. Quant à nous, avec beaucoup d'autres, on s'arrête au début de la montagne, se disant qu'il sera toujours temps de grimper plus haut si l'on voit un mouvement de foule qui va dans ce sens. En attendant, on se dit qu'on est assez loin du centre, et qu'ici le danger n'est pas trop grand : on a dû marcher un bon 5 à 6 kilomètres. Et la nuit est en train de s'installer : heureusement, à la différence de la veille, le ciel ne semble pas vouloir nous inonder de pluie.

De notre point d'arrêt, on a une vue sur le centre-ville dont une partie seulement avec électricité et, régulièrement, nous voyons un genre de brasier orangé apparaître durant quelques secondes, puis le bruit d'une explosion nous parvient. Puis, derrière les ombres de la montagne qui se dessinent au loin, la lune décide de venir nous accompagner dans notre attente. Certains, installés plus haut dans la montagne, décident de se faire un feu pour se réchauffer, car plusieurs ont avec eux leurs jeunes enfants ou de vieux parents, et ne savent même pas ce qui est arrivé aux autres jeunes qui étaient à l'école au moment de l'explosion.

Et nous, la réalité nous rattrape : nos bagages restés à l'hôtel ? l'hôtel sera-t-il encore là ? Pour Julien, l'autre québécois, c'est plus tragique : il n'a même pas ses papiers, puisqu'il était en train d'écrire sur Internet quand l'explosion s'est produite. Mais une lueur d'espoir : les explosions semblent circonscrites au même endroit. Et l'on apprend, car certains ont une radio ou peuvent communiquer par téléphone cellulaire avec leur famille, que c'est l'entrepôt d'armes diverses de l'armée qui a sauté. Riobamba, étant situé au centre de l'Équateur, est un point névralgique pour l'armée, d'où cet entrepôt, l'un des plus importants d'Équateur.

Puis les explosions se font de plus en plus rares. Et vers 22h00, quelqu'un arrive en nous disant que la situation au centre-ville est redevenue sécure et qu'on peut y retourner.

Ce que nous faisons, mais en suivant les gens...on ne sait jamais. Et de fait, l'électricité est revenu dans la plupart des quartiers, sauf, entre autres, celui de notre hôtel. Pete et moi, on décide d'aller rejoindre nos nouveaux compagnons à leur hôtel qui, elle, a de l'électricité. Lampe de poche en main, on part alors chercher, à notre hôtel, nos bagages. Et on s'installe dans nos nouveaux appartements pour la nuit, non sans avoir été prendre un courte marche aux alentours, histoire de voir revenir une vie un peu plus normale et calme.

Dans la montagne, un flash m'est venu. Je ne suis plus tout à fait certain que, vus d'en haut, c'est certainement plus beau ! En tout cas, pas toujours.

En effet, j'y étais en haut dans ma chambre...mais j'aurais largement préféré ne pas y être, beauté ou pas !

 

P.S. Aux dernières nouvelles,
les explosions avaient causé la mort de sept (7) personnes
et en avaient blessé 535 autres.

 

Publié dans CARNETS ÉQUATEUR

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